Pour fêter ses cinq années d’existence, la Fondation Croissance Responsable – Institut de France, en partenariat avec l’Observatoire des think tanks et l’Académie des sciences morales et politiques, a organisé un colloque sur l’apport de l’entreprise à la société.
Qu’il s’agisse d’accroître les performances économiques ou de permettre la résilience d’une région qui a souffert durement de la délocalisation, comment répondre aux changements économiques et sociaux d’aujourd’hui ? Comment l’entreprise peut répondre aux attentes de générations en quête de sens au sein d’un capitalisme qui se réinvente sous la pression du numérique ?
Xavier Darcos, ancien Ministre de l’Education Nationale et secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques, a ouvert la soirée par ces constats : le mythe du self made man est en chute libre à l’ère du collaboratif, et l’école n’est plus suffisante pour assurer la mobilité sociale. L’entreprise peut être un lieu de partage de valeurs, peut-elle conjuguer performance et enjeux citoyens ?
Huit intervenants ont pris la parole pour exposer leur expérience du lien entre entreprise et société, à travers deux tables rondes.
La première interroge le bien-être et le besoin de sens en tant que facteurs de développement économique. Utopie ou réalité ?
La seconde pose la question de l’entreprise en tant que force de mobilité sociale. Peut-elle être un ascenseur social face à une école qui peine à remplir ce rôle ?
Table-ronde 1 : Le bien-être et le besoin de sens, nouveaux facteurs de développement économique ?
Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza – think tank du bonheur citoyen – est convaincu de l’apport du bien-être à la performance économique. L’épanouissement entraîne la richesse, et un modèle économique humaniste est accessible.
Les salariés qui se sentent bien dans leur entreprise sont en meilleure santé, ont une plus grande réactivité, sont bien plus mobilisateurs et mobilisés, et plus coopératifs.
Sébastien Henry, coach professionnel et spécialiste de l’accompagnement de dirigeants, partage cette vision de la relation entre bien-être et productivité. L’auteur de l’ouvrage « Quand les décideurs s’inspirent des moines – 9 principes pour donner du sens à vos actions » définit la spiritualité comme l’art de se relier à plus grand que soi. Et se relier, c’est ce à quoi il invite les dirigeants des plus grandes sociétés. Se relier à soi, aux autres, que leur sensibilité soit religieuse ou athée. Sébastien Henry rencontre des décideurs qui cherchent de nouveaux business model pour réinventer le monde des affaires : et l’humain était au centre de ces méditations qui mêlent business et sagesse ?
Clara Gaymart, présidente de General Electric France, a rebondi sur ce qui est attendu de l’humain dans notre économie actuelle. D’une économie de la productivité, très fordiste, nous passons à une économie de la connaissance, du partage, de la créativité. Or, la créativité ne se contraint pas.
Dans un monde incertain, il n’est plus possible pour une entreprise de garantir à une personne recrutée que son poste sera le même dans un an. Les changements sont rapides, et pour que les équipes acceptent d’accompagner leur entreprise dans ses transformations, la confiance est indispensable.
Clara Gaymart cible 5 excès du passé, pertinents en leur temps mais qui nous limitent aujourd’hui :
- Oublier qu’un salarié heureux est un salarié plus performant qu’un salarié malheureux. La logique matricielle a contribué à donner l’impression aux salariés que leur travail est insignifiant, qu’il n’en est pas tenu compte.
- Quand un accident a lieu, on change tous les process et/ou l’organisation. Cela revient à punir la classe pour un élève. Si cela a contribué à fiabiliser la qualité, c’est aussi une chape de plus en plus lourde qui pèse sur l’ensemble des collaborateurs.
- Oublier que l’entreprise est un lieu où l’on prend des risques. Les éliminer permet d’assurer la qualité des produits. Mais le risque est de ne plus savoir prendre de risques. Permettre aux cadres d’être des intrapreneurs est un vœu pieux si les process et les contrôles rendent cela impossible. Il en résulte une importante perte de dynamisme et de substance pour les entreprises.
- On pensait que le monde allait vers des produits toujours plus sophistiqués pour des populations plus sophistiquées. Or, c’est la simplicité qui révolutionne le business des produits les plus technologiques.
- Oublier que le résultat financier n’est pas la performance. C’est le résultat de la performance de l’entreprise, à travers ses hommes, ses femmes, et les moyens mis à leur disposition.
Frédéric Tiberghien, président de Finansol, représente le tiers secteur, celui l’économie solidaire. Trop peu connu encore, il pèse 11% du PNB français et 14% de l’emploi. Ce secteur se finance et se gère différemment. Il hybride des ressources privées, publiques et gratuites (le bénévolat). L’une de ses particularités est la règle dite de « lucrativité limitée ». Les bénéfices restent essentiellement dans l’entreprise pour investir. Moins de distribution pour plus de création d’emplois. L’organisation, ayant ainsi plus de fonds propres, présente plus de résistance aux chocs.
L’expertise de Frédéric Tiberghien porte surtout sur l’épargne solidaire. En forte croissance, elle rassemble des épargnants sont prêts à accepter des rémunérations moindres et plus longues, mais plus transparentes et constructives. L’utilité sociale passe avant la rentabilité.
Pour Frédéric Tiberghien, la société peut être généreuse et consciente des enjeux économiques et sociaux, et ce système d’épargne en est l’un des signes les plus encourageants.
Table-ronde 2 : L’entreprise a-t-elle un rôle à jouer en matière d’ascenseur social?
Pierre Ferracci est le président du Conseil National Education-Economie. La rupture est durable entre ces deux univers qui peinent à s’écouter. Le système de l’apprentissage, nous rappelle-t-il c’est faire passer l’opérationnel avec le culturel. Or nous arrivons dans un monde où il faut savoir être agile, et où la formation intellectuelle, la culture, fait la différence. La continuité de l’école à l’entreprise est dans la formation des individus pour qu’ils soient aptes à faire leurs choix dans les changements.
Laurent Bigorgne soutient l’importance de l’investissement dans l’école primaire, indispensable pour limiter les décrochages scolaires, et le développement de l’apprentissage, alliance de l’éducation et de l’entreprise. Le directeur de l’institut Montaigne, think tank qui élabore des propositions dans le domaine de l’action publique, considère qu’une école qui perpétue les inégalités est particulièrement inadaptée au pays d’immigration qu’est la France.
Intégration et éducation par le travail : Hubert Mongon, Senior Vice-Président Ressources Humaines McDonald’s France et Europe du Sud rappelle que cette multinationale au plus près du tissu socio-économique français (1300 restaurants en France) applique ces principes quotidiennement. Les diplômes, le sexe et l’origine n’ont pas d’influence lors du recrutement. Ce sont des qualités personnelles qui sont recherchées, l’entreprise se chargeant de la formation. Un vendeur peut devenir manager ; puis directeur, en sachant ainsi tout faire. Ses connaissances pratiques sont complétées par un cursus théorique pour aboutir à un niveau équivalent à une licence en gestion.
Muriel Barnéoud, Présidente Directrice Générale de Docapost et membre du CA du Syntec numérique, est interpellée sur le thème de l’actualité de l’enseignement. Sa forme n’est-elle pas périmée ? Muriel Barnéoud rappelle que le numérique est un univers de la transgression. Le plus agile mange le plus lent, et non le plus gros le plus petit. C’est un univers où les jeunes apprennent aux vieux, avec de grandes opportunités. Les savoirs, l’inventivité, et la créativité sont appréciés, mais aussi l’erreur qui permet d’avancer. C’est un univers qui permet de contourner les lourdeurs que les entreprises ont elles-mêmes mises en place, au prix de longs efforts.
C’est un univers qui manque de compétence et qui est en apprentissage permanent. L’apprentissage prend d’autres formes. Avec 94% de CDI dans un secteur qui connaît 2% de croissance par an, Muriel Barnéoud ne remet pas en question l’enseignement, en revanche, elle salue les initiatives pour être dans d’autres créneaux de connaissances par le privé, comme l’école 42 et la web academy.
Liberté ou précarité ? Le travail, qu’il soit abordé sous l’angle de l’épanouissement ou celui d’un brasseur social, est façonné par les aspirations des individus et les valeurs de la collectivité. Dans l’entreprise se nouent les tensions des attentes citoyennes et des souhaits personnels, des opportunités et des impasses. C’est avec optimisme que les acteurs présents ont décidé d’aborder ces tensions. De l’économie sociale et solidaire au grand capitalisme représenté par Mac Donad’s, tous sont conscient de la cohésion sociale qu’apporte l’organisation des entreprises. Elles peuvent offrir aux individus le dépassement des déterminismes sociaux pour peu qu’elles investissent leurs efforts dans la formation et le bien-être de leurs collaborateurs.